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“A ces boutades de fièvres chaudes, succéda
l’espérance
de faire réussir un si beau voyage. Je m’enfermai, pour en venir à bout,
dans une maison de campagne assez écartée, où après avoir flatté mes rêveries
de quelques moyens capables de m’y porter, voici comment je me donnais au
ciel. Je m’étais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosées,
et la chaleur du soleil qui les attirait m’éleva si haut, qu’à la fin je
me trouvai au-dessus des plus hautes nuées”.Ainsi eut lieu le premier envol vers la lune du narrateur du livre de Cyrano de Bergerac (1619-1655) intitulé L’autre Monde ou les Etats et Empires de la Lune.
Et le narrateur d’avouer : “cette aventure extraordinaire me gonfla d’une joie si peu commune que, ravi de me voir délivré d’un danger assuré, j’eus l’impudence de philosopher dessus”.
Car, bien entendu, à travers les observations du voyageur, le dessein de Cyrano de Bergerac n’est pas de décrire une technologie du voyage spatial, mais de nous faire comprendre la relativité des situations cosmiques, de dénoncer les institutions et les valeurs de son temps. L’écrivain imaginera plusieurs machines à voler (voir Ch. Liger, Les cinq envols de Cyrano, dans la revue N.R.F., Gallimard, août 1965), entre autres une “machine à globe de cristal” dans son roman Histoire comique contenant les Etats et Empires du Soleil.
En 1648, un auteur anglais, Francis Godwin avait déjà conçu une machine volante dans le roman l’Homme dans la lune, ou le voyage chimérique fait au monde de la lune nouvellement découvert.
Mais ces machines ne sont des montgolfières, des ballons que par anticipation.
Revenons à l’astre du pays de nulle part, la lune, cette île du Nouveau Monde comme la désignaient les utopistes.
Dans une bande dessinée, Léonard est toujours un génie par De Groot et Turk (Dargaud éditeur, 1977), un certain Léonard invente “un ballon...qui va nous permettre de nous élever dans les airs... avec une enveloppe, habile mélange de papier et de cellulose”. Le maître et son assistant se dirigent involontairement vers la lune. La B.D. se termine par cette apostrophe du maître au disciple, en désignant le ballon : “Et moi je vous dis que si : Vous l’avez trop gonflé”.
Un autre héros de fiction se destine au voyage dans la lune, mais pour de louables raisons : échapper à ses créanciers, et ce, dans le roman Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall d’Edgar Allan Poé (1809-1849). “Une espèce de ballon [...] entièrement fabriqué avec des journaux crasseux” descendit sur la ville de Rotterdam. Ce ballon, “peu soucieux de s’approcher davantage de la terre ferme jeta donc une quantité de sable d’un sac de toile et resta stationnaire” et un messager, venu de la lune ou d’une autre planète, donna le manuscrit d’un raccommodeur de soufflet nommé Hans Pfaall, disparu depuis 5 ans.
Cette lettre nous narre son expérience. Pfaall se procura “plusieurs pièces de très belle batiste, de douze yards chacune, de la ficelle, une provision de vernis de caoutchouc, un vaste et profond panier d’osier et quelques autres articles nécessaires à la construction d’un ballon extraordinaire” et “se frayer un passage jusqu’à la lune”.
Mais la principale découverte réside dans les techniques de décollage : Pfaall transporta “cinq barriques cerclées de fer, qui pouvaient contenir chacune environ cinquante gallons, et une sixième d’une dimension plus vaste ; six tubes en fer-blanc, de trois pouces de diamètre et de quatre pieds de long, façonnés ad hoc ; une bonne quantité d’une certaine substance métallique ou demi-métal que je nommerai pas, et une douzaine de dames-jeannes remplies d’un acide très commun. Le gaz qui devait résulter de cette combinaison est un gaz qui n’a jamais été… appliqué à un pareil objet. Tout ce que je puis dire ici, c’est qu’il est une des parties constituantes de l’azote, qui a été si longtemps regardé comme irréductible, et que sa densité est moindre que celle de l’hydrogène d’environ trente-sept fois et quatre dixièmes [..]”.
Dans chaque barrique Pfaall déposa de la poudre à canon et relia le tout avec une mèche. Ayant promis à ses créanciers de solder ses dettes si ces derniers l’accompagnaient pendant “la réalisation d’un petit projet” qui devait leur rapporter, Pfaall “sans être vu par ses trois bourreaux” mit le feu. Il s’aperçoit qu’il est “enlevé avec une inconcevable rapidité” : “j’étais à peine monté à une hauteur de cinquante yards, quand arriva derrière moi, avec un rugissement et un grondement épouvantables, une si épaisse trombe de feu et de graviers, de bois et de métal enflammés, mêlés à des membres humains déchirés [...] Alors je compris que j’avais horriblement chargé la mine”.
Manière comme une autre de se débarrasser de ses créanciers. Mais si ,au début du roman, le ballon porteur du message ne voulait pas approcher de la terre ferme, n’est-ce pas en raison de la possibilité pour les spectateurs de lire les journaux qui composaient l’enveloppe (et “conséquemment n’auraient pas pu être fabriqués dans la lune”) et donc de découvrir la machination, l’illusion : disparaître pour mieux se dévoiler.
Marie-Do OUDIN
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