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"Un jour où je rentrais à l'heure du déjeuner, je vois un drôle
d'oiseau dans le ciel, vraiment très haut […] Je suis des yeux cette
tache dans le ciel. Elle décline lentement en voguant et soudain
je vois que c'est une montgolfière, énorme avec sa minuscule nacelle
et ses cordes tendues qui brillent dans le soleil. Elle se rapproche
de plus en plus, oscillant, dodelinant comme un jouet de caoutchouc
dans l'eau. C'est un mouvement si tendre et si gracieux qu'on en
pleurerait de joie.[Puis] je vois un grand pan de tissu s'effondrer
dans l'herbe".
La chute de ce ballon sans pilote fut providentielle, mystérieuse.
Alors, l'héroïne forme "une petite société qui avait ses règles,
ses mots de passe et un but enchanteur : l'élévation du ballon dans
les airs ". Une fois restauré, "le ballon fut en état de
nous enlever dans les airs. La première tentative restera comme
l'un des plus grands bonheurs de mon existence. Les gaz brûlant
de toutes leurs forces produisaient un tel grondement qu'il nous
était impossible de nous entendre".
Anne
Serre, l'auteur de ce recueil de nouvelles intitulé Un voyage
en ballon (Champ Vallon,1993,153 pages) prolonge son
récit avec cette stupéfiante remarque : " nous suspendions à
la nacelle les sacs de sable dont nous nous délivrerions au cours
de la montée pour nous élever toujours plus haut " !!!.Acceptons
le propos.
L'embarquement a lieu ," et doucement, comme une feuille soulevée
par un coup de vent nous quittâmes le sol […], l'air se purifie,
brille comme de l'acier… Alors nous ouvrons les sacs de lest et
semons dans l'espace. Soulevé par le courant de l'air le sable se
tortille, s'allonge, danse autour de la nacelle et poudre nos têtes.
". Dans cette machine hybride, imaginaire et rêvée, ce que l'auteur
recherche, c'est le frisson du voyage, la confusion du mouvement
primordial de l'extraordinaire et du vraisemblable.
Autre problématique dans l'œuvre d'Adalbert Stifter (1805-1868),
l'un des plus grands prosateurs de langue allemande du XIXème siècle.
Dans son ouvrage, Le Condor (éditions Jacqueline Chambon,
1996, 47 pages), il nous conte le choix d'un peintre en quête
d'absolu.
Ce peintre, Gustav, contemple, au petit matin, l'espace : " dans
une ceinture lumineuse du ciel, deux longues bandes de nuages se
séparèrent et, entre elles, je crus voir flotter lentement un disque
sombre […]. Cette sphère sombre…s'élevait insensiblement et sous
elle, suspendue à des fils invisibles…la nacelle ". Dans ce
ballon a pris place Cornélia qui "voulait…tenter sinon de briser
les liens de l'oppression, du moins prouver qu'une femme peut s'affranchir
des limites arbitraires que l'homme cruel a tracées autour d'elle
depuis des siècles : s'en affranchir sans renoncer pour autant à
la vertu et à la féminité ".
Cet aéronef, pas de doute, n'est pas une montgolfière, puisque,
lorsque l'on "vide par-dessus bord des sacs remplis de sable
", [il] "s'élève lentement et solennellement dans l'éther le plus
haut ".
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" Dans les puissantes secousses et les
tiraillement s
de l'enveloppe ", Cornélia contemple la terre "mais celle-ci
n'était plus la patrie familière…elle reculait vertigineusement…surnageant
au-dessus de fantastiques masses inconnues…,autour du vaisseau flottaient,
à perte de vue, de blancs linceuls transparents qui s'allongeaient
et s'agitaient…Alors son regard chercha refuge dans le ciel, mais
elle s'aperçut qu'il n'était plus là : la voûte céleste n'était
plus qu'un abîme noir qui s'enfonçait sans mesure et sans fin dans
les profondeurs - cet élixir délicieux dont nous jouissons en bas
sans y penser, la plénitude et le flux de la lumière sur notre belle
terre, avait en haut disparu.[…] et pour finir le soleil, un astre
menaçant, sans chaleur, sans rayons, un disque découpé dans un métal
bouillonnant, tumescent, chauffé à blanc : c'est ainsi qu'il brillait
au fond du gouffre d'un éclat éteint, sans réverbérer la moindre
parcelle de lumière dans cet espace fait de néant ; sur le ballon
et la nacelle se figeait seule une lumière crue, qui découpait fantomatiquement
la machine sur la nuit environnante, et dessinait les visages comme
ceux projetés par une lanterne magique "
Cette preuve de courage et d'indépendance
ne lui porta pas bonheur. Le vol doit s'arrêter. Et le pilote masculin,
un ami sincère, de conclure, un peu machiste : " j'avais bien
dit que la femme ne supporte pas le ciel…Ce projet ne pourra être
mené à bien ". Quelques temps après ce voyage, Cornélia, suite
à une lente maladie -"elle a dû voir des choses effrayantes,
elle a dû aller très loin "- retrouve Gustav, son amoureux.
Et, de ces instants inoubliables, va naître une décision ardente,
absolue : la séparation afin d'être digne l'un de l'autre. Car,
après de tels moments frémissant de bonheur, ne peut naître qu'une
grande et longue souffrance : " c'est de nouveau la nuit "
- [nous sommes en plein romantisme littéraire, ne l'oublions pas]
-.
Cette séparation va devenir pour le peintre le voyage sublimé afin
qu'il puisse peindre les paysages "les plus impalpables, les
plus enivrants ", ceux que Cornélia avait vu et vécu et qu'elle
contenait en elle avec ravissement. Et l'héroïne de demander : "connaissez-vous
la grandeur du cœur humain et en connaissez -vous la perfidie ?
".
Post-scriptum :
Le lendemain de l'avis d'alerte sur les places boursières de la
nouvelle économie, le journal Le Monde (18 avril 2000, page
38) s'esclaffe : " la bourse de Tokyo se couche à -7 % le matin.
Celle de Paris se lève à -5%. Les "tec " de Francfort qui dégringolent.
A l'heure où l'on écrit, le pire n'est pas sûr, mais le sûr est
assez pire ! La montgolfière perd de l'altitude, cette bonne vieille
montgolfière à hélium virtuel et bénéfices imaginaires ".
Comprenne qui pourra .
A suivre ...
Marie-Dominique Oudin
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